Voiture 101 : une équipe qui roule (II/VI)

1922 fut un millésime d’exception pour la littérature sportive. Antoine Blondin, né à Paris, et Pierre Chany, qui a vu le monde quelques mois plus tard du côté de Langeac, ont d’abord cultivé les différences avant de faire le bonheur des lecteurs de l’Equipe. L’Auvergnat a fait ses armes dans la presse communiste, couvrant ses premiers Tours de France pour Ce Soir, tandis que le Parisien noircissait encore les pages de l’hebdomadaire monarchiste Ici France. Puis les deux talents ont été réunis dans la voiture 101, chargée de coller aux roues du peloton du Tour pour que les reporters de L’Equipe vivent la course au plus près des champions. Pierre Chany de 1953 à 1987, rejoint par Antoine Blondin entre 1954 et 1982, ont été des frères de route sans équivalent pour transmettre les enjeux et la dramaturgie du Tour. Pour célébrer les 100 ans de leur naissance, le site letour.fr livre quelques échantillons piochés parmi leur immense production. Des morceaux choisis écrits sur une sélection de lieux qui seront visités par le Tour 2022.

Serre-Chevalier, 14 juillet 1975

« Beau coup de buis pour quelque chose »

Tout le monde redoute le Cannibale. Après tout, il serait prétentieux de croire qu’Eddy Merckx est prenable : le tenant du titre s’est imposé à cinq reprises sur le Tour (1969-70-71-72-74), où il débarque habillé du maillot arc-en-ciel, après avoir enchaîné au printemps des succès sur le Tour des Flandres et Liège-Bastogne-Liège. D’ailleurs, tout se déroule comme prévu pour le Belge, qui remporte les deux chronos de Merlin-Plage (ét.6) et d’Auch (et.9) et promène le Maillot Jaune à  travers la France. Mais la menace de Bernard Thévenet devient perceptible sur l’étape du Puy-de-Dôme, puis elle se concrétise sur l’étape de Pra-Loup qu’il remporte en même temps qu’il déshabille le roi Eddy, et s’affirme comme une évidence sur l’étape de Serre-Chevalier. Avec deux étapes remportées consécutivement, le Français a définitivement pris l’avantage, s’inscrivant dans le sillage de Louison Bobet qui avait lui-aussi bâti sa légende dans l’Izoard. C’est ce changement de patron au sein du peloton et la perception de cette lignée avec « Louison » que Blondin croque dans son billet du lendemain.

 

« La défaillance énigmatique d’Eddy Merckx dans la montée vers Pra-Loup, alors que nous venions, à l’instant même, de le voir accomplir une descente du col d’Allos souveraine, son désenchantement le long du Guil à l’idée de faire l’hélice dans la vallée pour les gloutons goguenards qui pendaient à sa selle, son incapacité à subjuguer Bernard Thévenet quand celui-ci s’en fut dans l’Izoard, tout cela pose les problèmes du renoncement, non certes dans la perspective d’une dérive de la personnalité, mais, peut-être, dans celle d’une saturation de l’organisme. La rude loi de la compétition veut qu’au vide de l’un corresponde généralement l’avidité de l’autre. Ce fut le cas, hier, pour un Thévenet soudain pleinement révélé à son rival et à soi-même, survolté par l’emblème jaune qu’il porte très haut, à moins que ce ne soit ce maillot qui le porte, cher chevalier. Il y a loin du transformateur électrique, au pied duquel nous fûmes contraints de le laisser, l’année dernière, en proie aux séquelles d’un zona, au pont triomphal qu’il vient de s’offrir pour le 14 juillet, empochant deux étapes en deux jours. A croire que ce transformateur l’a transformé. Cet homme ne s’exprime plus, il bégaie. Je veux dire qu’il redouble ses exploits, et je suis convaincu, ma parole. »

Lire l’intégralité de la chronique d’Antoine Blondin et l’article de Pierre Chany parus dans L’Equipe du 15 juillet 1975 : 


Au spectacle de l’exploit, Thévenet ajoute la constance et le sang-froid sur les six étapes qui le séparent ensuite de Paris, où l’arrivée finale est jugée pour la première fois sur les Champs-Elysées. Le verdict est sévère pour Eddy Merck, 2e et pointé à 2’47’’ de l’homme qui a mis fin à son règne. 

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