Avec une quatrième victoire sur le Tour de France, Tadej Pogacar égale le score de Chris Froome et n’est plus qu’à une longueur de Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Miguel Indurain, tous vainqueurs à cinq reprises. Quatre, c’est aussi le nombre des étapes remportées par le champion du monde, moins vorace qu’en 2024 lorsqu’il avait récolté six bouquets. Cette année, le Maillot Jaune a affiché plusieurs visages, dont celui d’un leader d’équipe responsable et concentré. Un nouveau « Pogi ».
Du haut de ses 26 ans et ses huit grands tours cyclistes tous terminés sur le podium, « Professeur Pogi » pourrait déjà publier un manuel à l’adresse des apprentis champions sur les multiples façons de gagner le Tour de France. Et le cas pratique de l’édition 2025 ferait apparaître au révélateur une nouvelle déclinaison de la méthode Pogacar, où se sont mêlés le panache et le calcul ; l’incontestable domination et les (petites) frayeurs. Maître Pogacar est bien resté fidèle à son socle théorique qui tient en une devise : « le cyclisme est un jeu ». Le respect de cette règle fondatrice s’est surtout appliqué aux terrains qui lui étaient proposés tout au long de la première semaine, offerts à son appétit comme un prolongement d’une saison exceptionnelle de classiques de printemps, durant laquelle il a découvert Paris-Roubaix. Pas de gros pavés au programme cette fois-ci, mais des pentes acérées et des enchaînements idéaux pour la mise en scène d’un énième duel avec Mathieu Van der Poel.
L’illustration la plus majestueuse de ce match est à observer sur la photo de l’arrivée à Rouen, qui sera certainement encadrée en bonne place dans l’allée centrale d’un éventuel futur musée Pogacar. Au surlendemain de la victoire de son meilleur ennemi du début de l’année à Boulogne-sur-Mer, et après avoir pris soin de déléguer le port du maillot à pois à son équipier Tim Wellens, Tadej crève l’écran pour décrocher sa 100e victoire professionnelle chez Jacques Anquetil. Le champion du monde hurle une joie sauvage et sincère. Derrière lui, à sa droite, MVDP porte un Maillot Jaune qui est ce jour-là celui du premier battu. A sa gauche, la troisième place revient à Jonas Vingegaard, déjà dans l’ombre du personnage principal et presque condamné au rôle de courageux faire-valoir.
Le tableau normand esquissé en bords de Seine prend dès le lendemain une autre proportion dans le Calvados pour le rendez-vous du chrono de Caen, où une même logique est respectée. Le Slovène, bien que devancé par Remco Evenepoel, construit déjà son succès en éloignant son rival danois à 1’13’’. Après une première journée en jaune, Pogacar s’efface momentanément au profit de Ben Healy en tête du général et retrouve donc sa tenue arc-en-ciel pour s’attaquer au final de Mûr-de-Bretagne. Un autre cliché prophétique y est saisi sur la ligne d’arrivée : Tadej devant, le poing levé : Jonas quelques mètres derrière, le meilleur du reste du monde, mais impuissant à faire vaciller le numéro 1.
A l’issue de sa victoire sur le chrono de Peyragudes, l’avance de Pogacar sur Vingegaard est enregistrée à 4’07’’, et ne grossira plus que de 17’’ sur les huit dernières étapes
À l’aide du décryptage de deux ou trois photos, le Tour semble écrit avant même d’avoir abordé la haute montagne. L’étape de Toulouse vient pourtant rappeler la fragilité de la position du patron du peloton, dont le destin ne tient qu’à un fil. À 6 kilomètres du but, Tobias Johannessen effleure sa roue avant par inadvertance, le plongeon sur le goudron est inévitable, tout comme le choc de son épaule contre un terre-plein... l’ossature et le bonhomme tout entier ont tenu le coup, mais il était moins une ! Les nouvelles sont plus que rassurantes en remontant en selle au petit matin, alors que se joue le deuxième acte de la victoire. La montée d’Hautacam ne restera plus pour Pogacar le mauvais souvenir de 2022. Parce qu’il est le maître des Pyrénées et qu’il entend bien le rester, il passe en mode autoritaire. Le coup de massue est envoyé à 12,5 kilomètres du but et renvoie tous ses rivaux à leur cruelle réalité : 2’10’’ plus loin pour Vingegaard, 3’35’’ dans le cornet pour Evenepoel, 4’08’’ du côté de chez Roglic ! Le message est tout aussi clair le lendemain. A l’issue de sa victoire sur le chrono de Peyragudes, l’avance de Pogacar sur Vingegaard est enregistrée à 4’07’’, et ne grossira plus que de 17’’ sur les huit dernières étapes.
C’est là que le monde entier fait connaissance avec un nouveau « Pogi ». Bye bye le glouton, bienvenue à la gestion. Sur la route comme en zone d’interviews, le Maillot Jaune assume de « courir sur la défensive » ou encore de « rester concentré sur la roue de Jonas ». La stratégie au service de l’efficacité et de l’unique objectif de la victoire finale, voilà qui tranche avec l’image du collectionneur de trophées, doublé d’un distributeur de parpaings à destination de ses partenaires de route. Pogacar a choisi d’économiser ses forces et celles de son entourage, ce qui n’est pas pour déplaire à Thymen Arensman, vainqueur de deux étapes de montagne dans ce contexte. L’idée était aussi de les préserver pour un coup de force final, à en juger par l’énergie déployée lors des trois ascensions de la rue Lepic, où il a été le dynamiteur le plus spectaculaire de la course… jusqu’à la réponse foudroyante de Wout van Aert. Le panache n’a pas disparu, et on se dit que tout est en place pour les prochaines classiques flandriennes. En attendant juillet 2026.