1922 fut un millésime d’exception pour la littérature sportive. Antoine Blondin, né à Paris, et Pierre Chany, qui a vu le monde quelques mois plus tard du côté de Langeac, ont d’abord cultivé les différences avant de faire le bonheur des lecteurs de l’Equipe. L’Auvergnat a fait ses armes dans la presse communiste, couvrant ses premiers Tours de France pour Ce Soir, tandis que le Parisien noircissait encore les pages de l’hebdomadaire monarchiste Ici France. Puis les deux talents ont été réunis dans la voiture 101, chargée de coller aux roues du peloton du Tour pour que les reporters de L’Equipe vivent la course au plus près des champions. Pierre Chany de 1953 à 1987, rejoint par Antoine Blondin entre 1954 et 1982, ont été des frères de route sans équivalent pour transmettre les enjeux et la dramaturgie du Tour. Pour célébrer les 100 ans de leur naissance, le site letour.fr livre quelques échantillons piochés parmi leur immense production. Des morceaux choisis écrits sur une sélection de lieux qui seront visités par le Tour 2022.
Saint-Gaudens, 25 juillet
« Charly Gaul se détache, Louison Bobet élimine ses autres rivaux »
Bienvenue dans la France de Louison. Sur le Tour de France, Bobet a commencé par conquérir les cœurs en allant chercher quelques beaux bouquets, en livrant bataille avec Fausto Coppi, en s’emparant momentanément du Maillot Jaune en 1948 pendant huit jours puis en se hissant sur le podium en 1950. Mais c’est en 1953 que sa séquence de domination s’est ouverte, Bobet se montrant encore plus sûr de son sujet pour la défense de son titre en 1954. Pour tenter le triplé, Louison se présente au départ du Havre en tant que grand patron de l’équipe de France, qui plus est vêtu du maillot de champion du monde. Parmi ses lieutenants dévoués, c’est Antonin Rolland qui promène le Maillot Jaune depuis sa victoire sur l’étape de Roubaix, pendant que Bobet commence à éloigner la concurrence sur l’étape du Mont Ventoux. Mais le gros coup est porté sur l’étape de Saint-Gaudens, et plus précisément en montant à Peyresourde. Le maillot arc-en-ciel se lance à la poursuite de Charly Gaul, parti en éclaireur et qui parvient à garder l’avantage jusqu’à l’arrivée, mais tous ses autres rivaux, qu’il s’agisse de l’Italien Pasquale Fornara ou du Belge Jean Brankart, sont nettement battus. Ce soir-là, le Breton a bel et bien pris le pouvoir.
« Il était devenu évident, depuis quelques kilomètres, que Louison Bobet préparait sa grande offensive. Débarrassé de ses derniers scrupules envers Antonin Rolland, lâché dans la montée d’Aspin, Le Breton ne pouvait plus reporter l’heure des décisions. […] L’attaque de Louison se produisit à six kilomètres environ du sommet de Peyresourde, dans ce col où le Breton avait essuyé une dangereuse défaillance l’an passé. Ce fut un démarrage brutal, un déchaînement de forces trop longtemps contenues, qui laissa sur place tous les challengers de la course et plus particulièrement Pasquale Fornara, déjà très moyen dans le col précédent. Dès lors, la course prit une importance vitale pour Bobet. Tandis que Géminiani, lui-même surpris par la soudaineté de l’attaque, restait en faction auprès des Italiens et de Blankart, Louison engageait avec Gaul une poursuite dont les répercussions s’annonçaient difficiles. De la réussite ou de l’échec de cette entreprise dépendait pour Louison Bobet le sort de la course ».
Lire l’intégralité de l’article de Pierre Chany paru dans L’Equipe du 26 juillet 1955, en « Une » et en page 2.
A cinq jours de l’arrivée à Paris, le coup de Saint-Gaudens a assommé la concurrence et lancé Bobet vers les rails de son troisième titre. Il devient alors le deuxième cycliste à s’imposer à trois reprises sur le Tour de France après Philippe Thys (1913-14-20)… et le premier à réaliser cette série consécutivement.