« C'est un voyage extraordinaire », a lâché Chris Froome après avoir scellé sa victoire sur le Tour de France, lors de l'étape du Semnoz, à 24 heures de l'arrivée à Paris. L'exercice de la conférence de presse du vainqueur, imposé à un moment symboliquement fort de la vie d'un athlète, provoque régulièrement des réminiscences. Et dans le récit de la trajectoire qui l'a conduit au sommet de son sport, le Maillot Jaune du Tour 2013 ne s'éloigne jamais totalement du moment de l'éclosion, de la passion brute pour le vélo, de la découverte du sens de l'effort. Pour Froome, tout s'est joué au Kenya, sa terre natale, où ses premiers entraînements ont été dirigés à l'âge de 11 ans par l'ancien coureur David Kinjah, alors capitaine des ‘Safari Simbas', qui se souvient sur le site de Sky News que « Chris était juste un malade de vélo ». Quelques années et un déménagement en Afrique du Sud plus tard, le jeune talent a confirmé son potentiel, et s'intéresse au maillot de champion du Kenya. « Il n'y a pas de championnats organisés, lui répond-on du côté de la fédération. Mais si tu en fais fabriquer un et qu'il nous convient, tu pourras le porter ! ». Et voilà le premier maillot distinctif sur les épaules du cycliste longiligne, qui commence à taper dans l'œil de Claudio Corti, le manageur de Barloworld, puis de Dave Brailsford dès les Jeux du Commonwealth 2006, alors que l'équipe Sky n'était qu'à l'état de projet.
Un plan de marche à la Wiggins,
les rouflaquettes en moins
Malgré une première expérience du Tour de France en 2008, c'est bien avec le maillot de la Sky que Chris Froome gagne une nouvelle stature, et précisément à l'occasion de la Vuelta 2011, où il pallie la défaillance de son leader Bradley Wiggins dans l'étape de l'Angliru, et échoue à 13'' de la victoire finale préservée par Juan Jose Cobo. Une répartition des rôles tenant compte de l'émergence de Froome est alors imaginée par Brailsford, qui confie tout de même avec raison les clés de la maison à Wiggins pour l'année 2012. « Froomey » doit se contenter de la place de dauphin, alors que « Wiggo » baigne dans les honneurs réservés au premier vainqueur britannique du Tour, qui plus est sacré champion olympique du contre-la-montre dans la foulée. L'amertume n'est pas réellement exprimée, mais la complicité n'est pas non plus affichée entre les deux hommes. Quoi qu'il en soit, l'apprentissage a été précieux pour l'équipier le plus luxueux du peloton. Avec une victoire d'étape conquise à la Planche des Belles Filles, et une place de deuxième qui ferait frémir d'envie l'immense majorité des coureurs professionnels, Froome a surtout posé les bases de son avènement.
En abordant la saison 2012, il suit un plan de marche à la Wiggins, les rouflaquettes en moins et une forme de discrétion élégante en plus. Côté sport, le nouveau leader de Sky s'impose au Tour d'Oman, n'est battu que par Nibali à Tirreno-Adriatico, prend ses marques en Corse en remportant le Critérium International, puis achève déjà un petit chelem avec la série Tour de Romandie - Critérium du Dauphiné. Avec un CV dont la valeur a triplé en quelques mois, Froome se présente sur le Tour avec le statut de favori numéro 1, qu'il tient autant de ses états de service que de la solidité présumée de son entourage. Décidé à assumer ses responsabilités, il donne un aperçu du « kick » qu'il a en réserve du côté d'Ajaccio, dans la montée du Salario. Mais c'est dans l'ascension d'Ax-3-Domaines que le Britannique dévoile la capacité d'accélération de ses gambettes : en l'espace de 5 kilomètres, il éloigne ses rivaux à une minute et demie… pour les plus résistants.
Il se paye le scalp de ses concurrents
sur le Mont Chauve !
Froome assume son rôle de leader de la course dès le lendemain, même lorsqu'il se retrouve isolé sur la route de Bagnères-de-Bigorre, qu'il doit encaisser la perte d'une de ses machines à rouler, Vasili Kiryienka, et que certains concluent un peu trop rapidement au déraillement du train ciel et noir. Dans le calme et la puissance, il continue de distancer ses rivaux sur le chrono du Mont-Saint-Michel, qui envoie tout le monde à plus de 3 minutes au général. Sa progression n'est interrompue qu'une seule fois, par l'épisode de la bordure de Saint-Amand-Montrond, qui lui fait perdre une grosse minute. Mais l'unique accroc à son plan de route est très vite oublié lors de sa démonstration du Ventoux : c'est sur le Mont Chauve que Froome se paye le scalp de ses concurrents. Tranchant en montagne malgré ses allures de pantin monté sur roues, il se montre surtout consistant sur la durée, et autoritaire contre la montre : son matelas s'épaissit à Chorges après le chrono, et sa mini-fringale de l'Alpe d'Huez ne l'empêche pas de creuser l'écart. Froome trouve en fin de course du répondant chez Quintana, mais la percée colombienne du Semnoz est bien trop tardive pour le menacer. Le patron est déjà bien installé… Pour combien de temps ?